
Ces pages ont contribué à sauver un homme de son passé. Son histoire, Walter Littlemoon l’a longtemps gardée en lui. C’est sa compagne, Jane, qui l’a patiemment aidé à assembler ses souvenirs en prenant note sous sa dictée de la tragédie d’une existence, la sienne et celle de son peuple. Tuer l’Indien dans l’enfant pour sauver l’homme, devise des pensionnats fédéraux dans lesquels Walter et tant de ses frères ont été enfermés !
Il faut se représenter la scène : le Sioux Lakota de quatre-vingts ans, dans la réserve de Wounded Knee, là où a été perpétré le dernier massacre d’Indiens, parlant, le regard fixe, à la manière des anciens, pendant que Jane rapporte les persécutions, les brimades, le déclassement social, le racisme, la tentation d’en finir…
En octobre 2021, après la parution de cet ouvrage, le musée des Confluences de Lyon a invité Walter Littlemoon à prononcer une allocution lors de l’inauguration de la grande exposition « Sur la piste des Sioux ». Il y a découvert, sauvés d’un passé qu’il croyait perdu, les parures et les vêtements de sa famille venue danser à Bruxelles lors de l’Exposition universelle de 1935. Faisant l’accolade à François Chladiuk, le collectionneur qui avait réuni ces reliques familiales ainsi que les photos sur lesquelles son père, sa mère, ses frères et sœurs les portaient, il lui a passé au cou une chaîne en perlage munie d’un médaillon sur lequel étaient représentés un quartier de lune et une nation d’étoiles. La lune pour les Littlemoon, les étoiles pour l’univers, lui a murmuré Walter.
À travers le témoignage d’un homme, cet ouvrage, mis en exergue par des revues de sociologie, nous dit un peuple malmené par l’Histoire, qui se bat aujourd’hui encore pour la survie de sa langue et de sa culture.
Extrait
Je suis un Lakota ordinaire. Je vis dans la petite communauté de Wounded Knee, sur la Réserve indienne de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Si je partage ici l’histoire de ma vie, c’est pour faire découvrir aux autres comment je guéris mon esprit et mon cœur, les sors des profondeurs d’un enfer engendré par des années de séjour forcé dans un pensionnat pour autochtones où je fus régulièrement battu et torturé.
Au fil du temps, j’ai aussi plus clairement identifié les différentes formes d’abus dont ont souffert nos parents et nos grands-parents lorsqu’on a mis fin à notre mode de vie originel. Des abus subis sur une longue période, des mois, des années, des générations, sont profondément ancrés et perturbants. Ils conduisent à subir une vie qui n’a rien de positif. Je partage ce récit parce que de nombreuses personnes vivant dans cette réserve, et dans d’autres réserves sur notre continent, souffrent encore. Je veux qu’elles sachent qu’il est possible de se libérer, de devenir serein et de se sentir un être humain.