
Il est des amitiés qui ne rouillent pas, surtout si elles se sont forgées à la fac, dans une militance généreuse qui confinait au folklore. Et même si trente ans ont coulé, ballottant les amis dans des existences très différentes. Quel que soit le pétrin dans lequel leur vieux copain Eddy s’est fourré, Nicolas, Louis, David, Étienne et Ivo n’hésitent pas à prendre la route des Balkans afin de lui sauver la mise. Quitte à affronter une mafia sanguinaire.
Mais ce périple a peut-être aussi d’autres motivations plus ou moins conscientes. Arrivés à l’âge où les cinq quinquagénaires ont le sentiment de ne plus comprendre un monde en frénétique métamorphose, ils sont contraints à un bilan douloureux.
Un portrait cruel des hommes nés dans les sixties, confrontés au délitement des idéaux pour lesquels ils se sont battus, à l’émergence de prêts-à-penser qu’ils récusent, et surtout à leurs propres faiblesses.
Extrait
David Adahan marchait d’un pas vif, ses cheveux trop longs et mal coiffés lui battaient le visage, brouillant sa vision. C’était clair, il serait en retard. Il avait assisté à la réunion des usagers de la Discothèque royale. Il fallait qu’il y soit. Comment ces crapules du ministère avaient-elles pu décider de mettre fin au prêt de médias audiovisuels ? Il en restait abasourdi, enterrer sans autre forme de procès un service inauguré en 1953 sous prétexte que « tout se trouve sur Internet » ! Comment avait-on osé ; ces salopards de sociaux-traîtres en étaient donc là. On allait sacrifier une collection, un patrimoine patiemment construit par des générations de professionnels de la documentation. Les cons, ça ose tout ! Une collection, une accumulation de connaissance, un fragment du grand livre de l’humanité, abandonnée parce qu’une bande d’incapables payée par les deniers publics n’a pas été suffisamment créative pour réinventer le modèle. […] David enrageait et se sentait impuissant ; il avait failli hurler lorsque les travailleurs avaient exprimé leur détresse. On les privait de leur identité professionnelle, on niait le travail qu’ils avaient accompli durant des dizaines d’années, parfois depuis le début de leur carrière. Alfonso l’avait ému aux larmes lorsqu’il avait déclaré devant une salle dont le silence recueilli était impressionnant : « C’est une image saisissante de la mort. Comme si tout ce que j’avais fait depuis dix-sept ans n’avait pas existé. Demain, les bacs de vinyles, les présentoirs de films et de CD seront démontés. L’espace de ce qui fut naguère la Discothèque royale sera vide de toute trace de ces septante années d’activité. Tout ce qui a fait ma vie professionnelle se sera évaporé. »