Quand, un soir d’automne, Jean Salvetti rencontre Irène d’Aussière, une jeune professeur de piano, dans les escaliers du lycée lyonnais où il est surveillant pour payer ses études de philosophie, il ne se doute pas qu’il va être entraîné dans un monde interlope de trafics en tous genres. Qui est l’énigmatique Paul de Wild, gentleman-garagiste et protecteur d’Irène ? Qui sont les étranges clients de la librairie L’Incunable ? Pourquoi Irène, avec la bénédiction de De Wild, le prend-elle comme colocataire, garde du corps et amant ? Pourquoi ces voyages en Suisse et en Italie ? Et surtout, qu’est devenue Irène, subitement disparue en même temps que son mentor ?
Bien des années plus tard, L’Incunable devenu Discophile et ses études abandonnées, Jean cherche encore dans les gravures des 33 tours dont il fait désormais commerce les réponses à ces questions.
Un roman où les souvenirs joints à la nostalgie d’une jeunesse et de ce à quoi on a renoncé font office d’enquête sur une ancienne disparition. Les anecdotes sur de grands noms du microsillon fascineront les discophiles.
Extrait
Les échos de la Valse de l’Adieu me remettent en mémoire le soir de notre première rencontre. Une mélodie douce et discrète, comme une silhouette que l’on aperçoit dans l’ombre et qui s’esquive sur la pointe des pieds. Le dernier élève avait quitté la salle. Je rassemblai mes affaires, quelques feuilles de cours froissées, et un stylo à bille que je fourrai à la va-vite dans une poche de mon imperméable. J’éteignis les néons avant de sortir et fermai la porte de l’étude à clé, puis cherchai à tâtons la minuterie. Dans l’obscurité, des accords de piano me parvenaient du premier étage, la même mélodie que celle distillée maintenant par le vinyle posé sur la platine. Je me suis appuyé au mur, dans la pénombre, pour mieux écouter. Cela venait de la salle de musique, au premier étage. Le cours était fini depuis quelques minutes, mais les accords persistaient, comme si l’instrumentiste jouait pour son plaisir. Enfin, le piano se tut et j’entendis un bruit de clés dans la serrure. Je quittai ma cachette et descendis l’escalier, essayant de prendre l’air le plus naturel possible, ce qui chez moi produit inévitablement l’effet inverse. Je croisai sur le palier une jeune femme brune, vêtue d’un manteau bleu marine plutôt défraîchi, qui serrait contre elle ce qui me sembla être des partitions. […] En bas, elle se retourna un instant pour me dévisager, d’une façon presque provocante, avant de pousser la porte du Saint-Georges. Elle m’avait regardé juste un peu trop longtemps pour que cela ne ressemble pas à une muette invitation. Je la suivis, et nous nous installâmes à une table au fond de la salle, sans dire un mot.