Écrivains côtoyant la médecine ? Médecins se piquant de littérature ? En tous cas, deux spécialistes nous livrent ici le premier volume de leur correspondance privée.
Le docteur Aperstein et le docteur Decourtsberg ont hier suivi leurs études à Wien (Autriche) et se sont reconnus quelques années plus tard au hasard d’un colloque parisien.
Julien Cavalier qui les a consultés tous deux a pu d’un trait résumer leur relation :
« Cinq soirs par semaine le Dr A. et le Dr D. se retrouvent dans un obscur petit restaurant chinois de la rue Boyer-Barret […] Nous pourrions croire que le Dr D. et le Dr A. s’apprécient étant donné la nature de leurs échanges et la fréquence de leurs entrevues mais cela constituerait une grave erreur. Ils se vouent réciproquement un mépris très particulier. »
C’est au lecteur maintenant de participer à cette heureuse et stimulante détestation.
Le 3 juin 2018, le Professor-Doktor Schnitzel, doyen de la faculté de Médecine de Wien, écrivait ceci :
« Lorsque les éditions Le Coudrier me firent l’honneur de solliciter une présentation de cet ouvrage, mon esprit fut le siège d’un dilemme presque insoluble. D’une part, le souvenir de ces deux étudiants d’alors n’était pas sans irriter ma plume : je voyais à nouveau ces insupportables carabins, pétris d’orgueil, qui prétendaient pouvoir se dispenser de mon enseignement. D’autre part, il fallait me résoudre à l’évidence : la publication de cette correspondance constituait un apport décisif à la littérature médicale. Il s’agit bien en effet d’un document de première main, auquel les générations futures devront se référer, essentiel à la compréhension de notre Siècle nouveau, nécessaire pour éclairer la marche du Progrès scientifique.
De notre bonne ville de Wien, c’est avec émotion que je salue mes désormais héroïques Confrères, les Dr Aperstein et Decourtsberg.
Et que vive la Science médicale ! »
Extrait
23/02/2017
Cher Confrère,
Merci de votre diagnostic.
Après examens complémentaires.
Le patient souffrirait d’un syndrome Twill avec aggravation en forme de petit col français. Intervention requise pour éviter toute hirondelle de renfort. Concernant les lunettes, le grossissement Wayfarer me semble anachronique, un Caravan eût été plus judicieux.
Vôtre,
Dr Decourtsberg
23/02/2017
Cher Confrère,
votre savoir m’impressionne : qu’est-ce donc que le grossissement Wayfarer ? On devine que votre patientèle est essentiellement composée de célébrités – moi, humble praticien du XIV<sup>e</sup>, qui ne (mal)traite que des plumitifs désargentés et mal attifés (avec 2 t ?) que j’espère néanmoins hâter vers la tombe – … Je ne doute pas que vous aurez la bonté de me présenter à la jet society un de ces jours, au bar du Meurice ou ailleurs…
Vôtre,
Dr Aperstein
23/02/2017
Cher Confrère,
Vous impressionner me ravit d’autant que je sens bourgeonner en vous comme prémices admiratives me concernant.
Le grossissement Wayfarer : modèle unique de scanner Ray-Ban auquel je préfère pour ma part le Caravan, lumière préprintanière oblige. Il offre une précision non égalée lorsqu’il est augmenté d’un recouvrement Super 150s que je vous recommande pour votre cabinet.
Je vous envie cette philanthropie, voici bien longtemps que j’ai renoncé à toute forme de maltraitance populaire. […]
Madame d’Antin Tournay de Vaillac entre à l’instant dans le vestibule, je vous l’enverrai sous peu pour migraine récalcitrante.
Croyez en mes meilleurs sentiments,
Dr Decourtsberg
23/02/2017
Cher Confrère,
Quoique fort savant, vous m’inquiétez: ne seriez-vous pas sujet parfois à des bouffées de naïveté ? L’admiration est un sentiment que je ne goûte guère et s’il m’arrive de l’appliquer, c’est uniquement (et modestement) à mon sujet. Quant à ma philanthropie populaire, elle était chleuastique, si j’ose ce néologisme.
Néanmoins, j’apprécie vos connaissances en matière de Ray-Ban et ne manquerait pas de briller en vous citant : « Comme me disait le Dr Decourtsberg, etc. »
À vous consulter bien vite,
Dr Aperstein