On disait, c’est le progrès ; le bruit courait qu’on ne l’arrêterait pas.
Étrange, tout de même, de dire à propos du progrès ce qu’on disait à propos d’un cheval emballé, d’un balai ensorcelé ou d’une maladie incurable; personne ne se demandait d’où ça venait; personne ne savait au juste ce qu’il disait lorsqu’il disait qu’on n’arrêterait pas le progrès. Au fond, ce n’était qu’un bruit, une espèce de boutade qui n’empêchait pas nos parents de répéter que ce qui n’est pas nécessaire attendra, que celui qui veut quelque chose doit travailler pour l’avoir, ou qu’on n’a rien sans effort, ce qui revenait au même.
Pour les enfants d’après-guerre, c’était comme si le progrès était né avec eux et grandissait avec eux ; à la longue, il allait de soi ; ainsi, quand sont arrivées des choses que personne ne semblait avoir demandées, elles ont fini peu à peu par devenir indispensables, au point qu’on travaillait de plus en plus pour améliorer le superflu, autrement dit pour faire grandir davantage le progrès.
Ceux-là sont les seuls à avoir vu et vécu tant de différences entre leur début et leur fin, car la vie moderne a offert des débuts tout autres à leurs enfants et un présent encore plus différent à leurs petits-enfants.
Aujourd’hui, ils sont comme la fin d’une série. Ils gardent la mémoire de ce qui était et qui est enfoui profondément. C’est ce qui reste.