Au cœur du livre, il y a l’expérience de l’auteur en salle de réveil – expérience passée au tamis d’une parole économe et précise, filtrée de toute anecdote pour mieux atteindre à l’essentiel. La « chambre d’éveil » est ce lieu où l’on revient à soi et où se confrontent le réel et les images dynamisées, dopées, du corps abîmé, de paysages anciens, d’ascensions dans le brouillard, entre veille et sommeil. On pourrait rapprocher cette chambre de celle de Joë Bousquet. Il s’opère un retournement des choses où alors qu’on allait vers elles, elles viennent à vous et se condensent, en ce moment d’immobilité contrainte, en images mémorielles, où perce une douleur. C’est au chevet de cette mémoire que se trouvent soudain convoquées les figures des disparus et de ceux qui s’éloignent aujourd’hui. Ils constituent une fratrie. Chaque être évoqué vit enfermé dans une chambre forte, un mutisme, ou l’éclair d’une mort imminente. Le poète aimerait parcourir d’un seul regard l’espace entre naissance et mort. Le temps de la généalogie s’abolit alors, les visages s’imposent en retrait et paradoxalement présents. L’impression nous vient qu’ils sont « au secret » de la mémoire mais que la main pourrait les toucher en rêve. La langue, sa naissance et sa perte, constitue une autre voie de lecture du livre : du mutisme de l’enfant métamorphosé par l’accès à la langue au terrible silence de l’agonie. Le livre est une sorte de veille, un état second, où tous les sens sont convoqués, pour rappeler à soi ceux qui s’éloignent, comme les braises du souvenir raniment la présence.
Serge Meurant est l’auteur d’une trentaine de livres publiés en Belgique, en France et au Québec. En 1993, les éditions de la Différence ont fait paraître sous le titre Brasier de neige un choix de ses textes publiés entre 1974 et 1988. De 2000 à 2008, il a codirigé à Bruxelles le festival Filmer à tout prix, dédié au cinéma documentaire. Ses poèmes, qui ont été traduits notamment en néerlandais, en portugais, en roumain et en russe, ont inspiré à Pierre Bartholomée deux œuvres musicales (Brasier de neige et Point nocturne). Plusieurs de ses livres sont nés de collaborations avec des artistes, graveurs, dessinateurs, peintres ou photographes.