• Auteur(s): Astrid Chaffringeon
  • Éditeur: Éléments de langage
  • Genre: Récit
  • Péritexte: Ill. de Claire Morel
  • Format: 13 x 20 cm
  • Nombre de pages: 60 pages
  • ISBN: 978-2-930710-16-7
  • Parution: 2018
  • Prix: 10 €
  • Disponibilité: Disponible
  • Distribution: Autodistribué (Belgique). Librairie Wallonie-Bruxelles (France).

Chambre avec vue est un O.L.N.I. (objet littéraire non identifié) bien particulier qui donne ses lettres de noblesse à un genre encore trop méconnu : l’annonce immobilière. Il s’agit même de la plus longue annonce immobilière de l’histoire de l’annonce… qui n’a ici plus rien de « petite ».

En une cinquantaine de pages, la narratrice tente d’expliquer au lecteur les raisons pour lesquelles elle doit absolument trouver où loger dans le village corse de Pino, qui constitue un des personnages principaux du livre. À travers ce court récit, l’auteure, Astrid Chaffringeon, dresse un portrait original de la Corse et se joue des aléas de l’inclusion/exclusion que peuvent subir tous les amoureux d’un lieu impossible, à la fois réel et fantasmé. Comment s’enraciner, au propre comme au figuré, quand on est de nulle part ? Comment faire quand on croit avoir trouvé l’Eden mais qu’il se refuse et qu’en plus personne ne semble le voir ? Quels stratagèmes employer pour parvenir à ses fins ? Astrid Chaffringeon retrace avec malice les mésaventures d’une amoureuse, forcément incomprise, qui tente de faire corps avec le paysage de ses rêves. Ici, même si la beauté de la Corse irradie les pages de cet O.L.N.I., rien de pittoresque : l’auteure ne cultive pas l’authentique mais interroge notre rapport au monde. Sans doute ne sommes-nous pas condamnés à nous comporter dans l’existence comme des touristes pour lesquels tout est dû. Chambre avec vue, avec humour et finesse, en nous parlant des particularités corses, touche à l’universel.

Extrait
Un jour peut-être, au détour d’un tombeau, vous apercevrez votre corps frémissant et ondulant sous le poids des collines, posé là à contempler pour l’éternité la mer, ses promesses et ses secrets, sa redoutable fraîcheur, son écume insolente. Alors vos pieds fourcheront pour creuser la terre, vos cheveux deviendront racines et vous vous retrouverez nu(e), à la grâce du sel et du vent.
Si, croyez-moi, cela m’est arrivé, à moi. Et ce n’est pas si simple, ce n’est que le début de l’aventure. D’ailleurs, si j’ai écrit cette annonce, c’est parce que maintenant, j’ai besoin de vous.

Le mot de l’auteure

En 2016, au détour d’une promenade dans le village de Pino, en Corse, je suis tombée nez à nez avec la philosophe Barbara Cassin dont l’ouvrage la Nostalgie avait accompagné la mise en écriture du roman Cueillir ses rires comme des bourgeons (Avant-Propos) que je venais d’achever.

Je n’étais pas dans ce village par hasard.

Il y a longtemps que j’ai compris qu’il s’y passe quelque chose qui m’enracine au monde, qui soulève les écailles du temps et m’aide à lutter contre le terrible dénuement qui s’éprend parfois de moi. Alors je m’y rends de temps en temps, pour ne pas laisser la toile sans fond, pour résister et me respirer, aussi. Je ne fais qu’y passer et en repars tout aussitôt, parce qu’il n’y a rien qui m’angoisse davantage que la sensation d’être l’obligée d’un territoire.

Y croiser l’auteure de la Nostalgie n’a fait que renforcer le lien poétique qui se tisse entre ce village et moi. Je ne pensais pas un jour écrire un texte lié à la Corse, parce qu’elle est trop proche de mon intimité mais c’est une proposition de l’artiste Claire Morel qui m’y a poussée.
Claire et moi aimons travailler ensemble : nous partageons le même sens de l’autodérision et n’acceptons comme contrat que la joie. Lorsqu’elle m’a annoncé que, pour notre prochain projet, elle voulait travailler sur les paysages intérieurs, la topographie particulière de Pino a surgi spontanément.

Comme je suis itinérante, il a fallu plusieurs escales avant que Chambre avec vue n’aboutisse et ne prenne forme. Il est passé par la Finlande, notamment. J’ai été invitée par l’artiste Carita Savolainen à collaborer à son projet protéiforme À travers le regard/Katseen Kautta/Passing on looks : œuvres/textes/performances musicale et chorégraphique (Éléments de langage).
Je connaissais peu de choses de la Finlande et, si j’écris, c’est justement pour sonder de nouveaux territoires. J’aime me démultiplier et je pousse parfois les variations jusqu’à la zone d’inconfort. Ce n’est pas une coïncidence si les notions de déplacement de frontières prennent autant de place dans mes travaux ou chez les artistes que j’expose.

Pour ce projet finnois, j’ai eu envie de travailler sur les vertus de la patience et de l’acceptation, préludes nécessaires à tout enracinement. Jusqu’à la transfiguration. C’est ainsi que le texte Tantôt est né, comme une préfiguration inversée de Chambre avec vue où la narratrice croit voir son corps s’incarner dans les collines luxuriantes du village de Pino mais s’agite, s’impatiente, n’accepte pas les frustrations et les compromis qui président à toute nouvelle installation.

Elle croit que son désir est plus fort que les lois des pierres, des peuples et du temps. Et elle en oublie les gens. Au lieu d’attendre que les choses se fassent naturellement, elle lutte contre un territoire dans lequel elle voudrait plonger au plus profond, elle l’arpente en gigotant alors qu’il suffirait peut-être d’attendre patiemment que les choses se fassent au bon moment…

Évidemment, outre l’hommage à Pino, Chambre avec vue est aussi un texte engagé si on s’intéresse à la Corse et qu’on connaît les problématiques qui la secouent. D’un côté une série de situations qui retracent les difficultés liées à la vie sur une île et de l’autre, le portrait théâtralisé d’une héroïne un peu perchée qui voudrait vivre à Pino mais sans tenir compte de l’insularité qui a des codes et un langage qui lui sont propres.

Cette valeur singulière n’enlève rien, je crois, au caractère universel de ce texte dans lequel chacun peut se reconnaître. Ne sommes-nous pas couramment frustrés par l’incompatibilité entre nos exigences de consommateurs prônant la satisfaction immédiate et la réalité du terrain, escarpé, lorsqu’il s’agit de construire les valeurs essentielles à notre quête d’identité ? Autrement dit, n’en serions-nous pas à une contradiction près ?