« Depuis sa création en 1897, Cyrano de Bergerac connaît un immense succès. Il existe en France une telle affinité entre ce personnage littéraire et le caractère national qu’on peut parler d’un véritable complexe de Cyrano. Qu’est-ce qui explique la fascination du public pour le héros d’Edmond Rostand ? Son nez légendaire, source de fierté et parfois de honte ? Sa liberté d’esprit ? Son goût des formules à l’emporte-pièce ? Son courage devant le danger ? L’amour désespéré qu’il voue à la belle Roxane ? Le pacte secret qui le lie à Christian ? Tous ces éléments forment sans doute les ingrédients d’un succès populaire jamais démenti. Reste à expliquer le mécanisme par lequel le spectateur se trouve émotionnellement tenu jusqu’au dernier acte, quand le héros passe aux aveux complets.

Œuvre de réconciliation, cette comédie héroïque panse les plaies d’une France affaiblie, en proie à la mélancolie et au doute. Grâce à une fiction généreuse, elle vient réconforter un orgueil national que les divisions internes et la défaite extérieure ont sérieusement écorné depuis 1870. Au-delà des circonstances particulières qui ont accompagné sa création, elle présente une homologie étonnante entre sa structure profonde et les fondements imaginaires de la nation.

C’est ce que notre analyse, à la fois littéraire et politique, permet de mettre au jour : les raisons inconscientes qui fondent le désir d’un destin commun. Au moment où, en France, le doute quant à l’avenir de la nation gagne les esprits, la compréhension de Cyrano de Bergerac peut apporter quelque lumière sur les bases imaginaires autour desquelles s’est édifié le sentiment d’appartenance collective, l’enveloppe nationale. »

J.M.A.