Tintin est une peau, une armure, une carapace. Hergé le conçut ainsi, d’abord pour conquérir la jeune femme qu’il aimait, ensuite pour obtenir la reconnaissance sociale dont il avait besoin. Il s’investit si bien dans cette saga qu’elle peut se lire aujourd’hui comme une autobiographie cachée de son créateur. On y retrouve ses peurs, ses blessures secrètes, ses aspirations les plus nobles comme ses désirs les moins avouables. Tout cela forme le terreau sur lequel il bâtit une œuvre complexe, comique, riche en rebondissements et présentée sous une enveloppe enfantine, à la manière des contes de fées du XVIIe siècle.

À la suite d’Hergé, le lecteur est invité à entrer dans la peau de Tintin, pour se sentir plus fort, pour vaincre les peurs de son enfance. La peau de Tintin se fait alors corps collectif et le petit reporter acquiert le statut d’un mythe. Ce mythe nouveau permet à ceux qui y participent de se reconnaître entre eux comme des frères unys et de solidifier leur rapport au monde contemporain, un rapport souvent fondé sur l’inquiétude et le défi.

Enfin, ce volume s’attache à éclaircir une situation paradoxale : qu’arrive-t-il lorsque les ayants droit se sentent eux-mêmes exclus de la peau de Tintin, qu’ils ne comprennent ni la force ni la spécificité de ce mythe, perpétué hors de leur contrôle ? Le danger est grand qu’ils cherchent à réduire le personnage d’Hergé au statut d’une marque commerciale, de façon à regagner le contrôle d’un produit dont ils se veulent les propriétaires exclusifs et jaloux.