Michel Collot attache la parole aux sensations qui la motive. C’est que la poésie, chez lui, est tout autant liée à un certain état de corps qu’à quelque « état d’âme ». Cet état du corps correspond à un état de grâce ou de disgrâce où, cessant d’être l’instrument docile et inaperçu de ses actes et de ses paroles, le corps attire soudain l’attention sur lui-même. Au lieu de se disperser dans tous les sens au-dehors, voilà qu’il invite à revenir au foyer d’où partent ces mouvements centrifuges qui font l’ordinaire de notre existence. Le corps est un carrefour, et le poème doit pouvoir en témoigner, en rendre l’expérience, un carrefour où se rencontrent le moi, le monde et les mots. Comme tel, il est une source de la poésie et une ressource de la pensée. De ce monde du silence monte un pressant appel à la parole conduisant à la recherche des mots pour exprimer les sensations muettes qui l’habitent. Or cette recherche s’opère elle aussi d’abord à tâtons depuis le plus obscur de la chair, dans les mille replis d’une matière ingénieuse, où des messages se mettent à circuler, frayant des chemins imprévus à la pensée. Le corps devient le lieu d’un échange intense et incessant entre le dedans et le dehors, les idées et les sensations, les mots et l’émotion.
Michel Collot est professeur de littérature française à l’université de Paris III-Sorbonne nouvelle. Il est l’auteur de six livres de poésie et de nombreux essais sur la poésie moderne et sur le paysage, notamment l’Horizon fabuleux et Paysage et poésie (José Corti, 1988 et 2005), la Poésie moderne et la structure d’horizon et la Matière-émotion (PUF, 1989 et 1997), et le Corps cosmos (La Lettre volée, 2008). Il a dirigé pour la Bibliothèque de la Pléiade la publication des œuvres poétiques complètes de Jules Supervielle (1996) et le second volume de l’Anthologie de la poésie française, XXe siècle (2000).