Les lèvres ici se font rives désertées pour dire le temps plus durable d’une enfance aussi buissonnière que protégée, son miracle d’insouciance, pour dire l’espace plus ouvert sur lequel s’agrandissent les bras. C’est là le trésor gardé du poète où s’ancre sa nostalgie, tirant à l’angoisse à mesure que s’amincit le temps à l’aune des présences. L’enfance est retrouvée pour être mieux perdue. Elle s’égrène dans le sillage de mots où le sillon se répète jusqu’aux rides, terre nue où le ciel vient battre de l’aile dans l’horizon qui reflue. Demeure l’enfance qui dans l’enfant se sépare, le grain levé des mots dans l’instance d’exister. Demeurent les hautes herbes pour qui sait moissonner le soleil à cœur battant. L’enfance est lourde d’un trésor qui pèse par sa légèreté même ; le bonheur est une tâche où l’adulte peine à l’égaler. Le poète lui tient parole à fleur de peau, quitte à s’écorcher. La tendresse est l’héritage dont il nous témoigne et gratifie, le pesant de rives où la rivière l’a porté avant de serpenter aux étoiles.
L’enfance est donnée au poète ; il nous la restitue au bénéfice du chant.
Philippe Leuckx est né à Havay (Hainaut) en 1955. Poète et critique, il collabore à de nombreuses revues littéraires et a publié une cinquantaine de livres et de recueils de poésie.