Souffrance des mères de Guernica, clameur des Sabines enlevées par les Romains, visage contourné d’une Méduse hurlante, confrontation de cris entre deux personnes dans une vidéo, œuvre-cri sonnant l’alerte contre les tragédies d’Innocents migrants en Méditerranée, ou en mobilisation en faveur de l’anthropocène… Au cœur de ces œuvres une bouche fait trou, tache noire ou creux pour le regard. En cri ou en geste, la bouche attire l’œil des spectatrices-spectateurs qui ne peuvent en obturer la béance. Mais depuis quand, pourquoi et comment ces œuvres s’intéressent-elles à ces cris ? S’adressant au public soucieux de comprendre les arts et les images, de la fresque à la performance, cet ouvrage démontre et montre que ces œuvres s’attachent, malgré leur réputation « de mauvais goût », à mettre en avant des scènes de cris afin d’en faire émerger la signification moderne. Ces cris suspendent, en effet, toute culpabilité religieuse ou allusion aux dragons médiévaux. Ce sont des cris individuels ou collectifs, pleins de réprobation envers des sources humaines (guerres, dominations, crimes), en forme d’appel aux spectateurs.
Christian Ruby (1956) est philosophe, docteur en philosophie et enseignant, chroniqueur à Nonfiction, codirecteur de la revue Raison présente. Sur cette question du spectateur, il a publié récemment : L’Archipel des spectateurs, du XVIIIe au XXIe siècle (Besançon, Nessy, 2012) et La Figure du spectateur. Éléments d’histoire culturelle européenne (Paris, Armand Colin, 2012) que ce volume complète et, précédemment à La Lettre volée : L’Art public. Un art de vivre la ville (2001) ; Nouvelles Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (2005) ; Schiller ou l’esthétique culturelle. Apostille aux Nouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (2006) ; L’Âge du public et du spectateur. Essai sur les dispositions esthétiques et politiques du public moderne (2006).