Le village du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire (3 000 habitants) est mondialement connu pour avoir massivement sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, au point d’avoir reçu collectivement le titre de « Juste parmi les Nations » décerné par le mémorial de Yad Vashem. Mais l’on sait moins qu’en une génération, et dans un rayon de moins d’une dizaine de kilomètres autour du village vécurent, pour des raisons diverses, un nombre impressionnant d’intellectuels de haut niveau : l’un des plus grands poètes du XXe siècle (Francis Ponge) ; un romancier, dramaturge et cinéaste renommé, membre de l’Académie française (Marcel Pagnol) ; un philosophe et romancier au rayonnement international, Prix Nobel de littérature (Albert Camus) ; trois philosophes ayant considérablement marqué leur discipline dans la France de la seconde moitié du XXe siècle (Georges Canguilhem, Paul Ricœur, Gilbert Simondon) ; un célèbre sociologue et politiste (Raymond Aron) ; trois grands historiens (Jules Isaac, Léon Poliakov, Pierre Vidal-Naquet) ; quatre éminents spécialistes de la pensée juive (André Chouraqui, Jacob Gordin, Georges Vajda, Georges Levitte, et leurs jeunes compagnons de « l’école des prophètes ») ; deux économistes et activistes protestants ayant marqué leur temps (Louis Comte et Charles Gide) ; et, enfin, un génie des mathématiques, également pionnier du mouvement écologiste (Alexandre Grothendieck).
La géographie, l’histoire politique et l’histoire intellectuelle se nouent pour raconter cette exceptionnelle saga, qui a vu naître sur un même territoire des œuvres aussi importantes que la Peste d’Albert Camus, la Fabrique du pré et le Carnet du bois de pin de Francis Ponge, la Femme du boulanger de Marcel Pagnol, le Normal et le Pathologique de Georges Canguilhem, le Volontaire et l’Involontaire de Paul Ricœur, Jésus et Israël de Jules Isaac, les Guerres en chaîne de Raymond Aron, l’Introduction à la pensée juive du Moyen Âge de Georges Vajda.
Réalisée par le Lieu de Mémoire au Chambon-sur-Lignon, une exposition aura lieu du 5 juillet à la fin du mois d’août 2018 (cf. description sur le site du musée : www.memoireduchambon.com). Elle propose un parcours dans le temps (années 1920-1950) entre Saint-Jeures, Le Chambon-sur-Lignon, Le Mazet-Saint-Voy, Saint-Agrève et Tence. On y découvrira les différents motifs qui expliquent la présence, dans un même espace, de personnalités hors du commun. Le visiteur pourra ainsi connaître le visage, les œuvres, l’itinéraire ayant conduit ces penseurs sur le Plateau, les liens que certains ont entretenus durant leur séjour, les témoignages qu’ils ont laissés, les œuvres qu’ils ont pu y créer.
Nathalie Heinich, née à Marseille en 1955, est sociologue, directeur de recherche au CNRS, membre du CRAL (Centre de recherches sur les arts et le langage : École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris), et membre associée au LAHIC (Laboratoire d’anthropologie et d’histoire sur l’institution de la culture : CNRS, Ministère de la Culture, EHESS).
Titulaire d’un doctorat de l’EHESS consacré à l’histoire sociale de la notion d’artiste (1981), et d’une habilitation à diriger des recherches (1994), elle s’est spécialisée dans la sociologie des professions artistiques et des pratiques culturelles (identité d’artiste, statut d’auteur, publics de musées, perception esthétique…), tout en développant une réflexion sur les crises d’identité (expérience concentrationnaire, accession à la notoriété, construction fictionnelle des modèles identitaires…).
Outre de nombreux articles dans des revues scientifiques ou culturelles, elle a publié des ouvrages portant sur le statut d’artiste et la notion d’auteur, l’art contemporain, la question de l’identité, le rapport aux valeurs, ainsi que l’histoire de la sociologie.