Ici-bas développe en filigrane un parcours de vie : d’un hommage à la mère, on passe à l’amour d’où émerge l’enfant, puis l’adulte, jusqu’à la mort qui peut être prolongée dans la pierre, pour la mémoire des hommes, ou dans une rédemption aérienne, pour l’esprit. Mais, puisque Serge Meurant parle de « captifs », de « sommeil de la raison », on peut penser qu’il considère que chaque partie, chaque état constitue prisonnier celui qui l’occupe ou le traverse (l’enfant dans son enfance ou l’amant dans son amour) ; à ceci près que tout s’envisage sous la perspective des commencements et des prolongements. Le monde présente un espace ouvert dans lequel le bonheur est vulnérable et la fin, annoncée : ce qui s’y révèle insupportable, c’est l’entrave, car elle ne permet pas le choix du chemin au bout duquel se trouver « réconcilié, / debout, / le monde lui répond, / l’illumine d’immense ».
Forcer à s’attarder à ce qui échappe, quoique essentiel : la poésie de Serge Meurant ne fait que ça, énorme, qui s’avance depuis un tiers de siècle. Les mots, chez lui, rayonnent et agissent. Il sait comment les charger d’énergie, en leur donnant du champ, de quoi respirer large. Du coup, libres, ils nous délivrent.
Ce qu’ils nomment ? Les deuils qui sont des seuils, les frontières qui sont des lisières, les distances qui rapprochent et les proximités qui défient. Meurant est le poète du murmure opiniâtre, de la confidence acharnée. « Effacé pour voir / ce qui advient / en cette présence, / ce qui se détache / de toi, / déjà séparé, appartient au poème ».
Ses textes nous requièrent parce qu’on les sent puisés en profondeur, condensés, et dès lors voués à l’écoute attentive, propices à la méditation.
Les pages d’Ici-bas sont autant de jardins zen. Ils ont l’air nus, ils sont inépuisables, ils réclament qu’on s’y installe posément et qu’on s’attache à chaque mot, comme à une pierre disposée savamment sur des ondes de gravier.
Jacques De Decker,
Le Soir, 25 mai 2007