Extrait

Je viens d’avoir cinquante ans et je n’ai pas encore tué.

Cela me manque. J’en ai si souvent rêvé. Je veux dire : vraiment rêvé. Élaborant dans mon sommeil (si enfin il s’agissait bien de sommeil et non d’une demi-veille embrumée de fatigue) les crimes qu’avec un peu plus de volonté, j’aurais eu plaisir à commettre. Quand je parle de plaisir, il ne faut y voir rien de vulgaire ou de sordide. Rien qui soit empuanti par un sentiment de vengeance, de haine ou de jalousie ni par cette horreur que l’on désigne du terme hypocrite et exorbitant de « justice des hommes ». Qu’on ne me parle pas non plus d’acte gratuit et des pénibles inventions de cette andouille de Gide. Faut-il être aussi nigaud que le dénommé Lafcadio pour poser un geste tout en forfanterie, dont il ne peut même pas apprécier le dénouement ni l’état de la victime. Un fameux gâchis ! Comme si un orateur laissait en suspens l’exorde ronflant qu’il vient d’entamer.

Non, je parle bien du crime pour le crime dans toute sa plénitude. Avec préparation, action et résultat. L’opération relevant de l’expérience de science physique où un corps mou, sonore et articulé devient rigide, immobile, silencieux et voué au pourrissement. Avec –très important- la valeur ajoutée d’un passé particulier (si court soit-il et de préférence bien connu de l’expérimentateur) qui s’évanouit dans les sombres couloirs du néant.