En 1968, j’ai écrit la Mygale, pièce courte qui brosse le portrait d’une famille à la plage. Dans cette farce balnéaire, le fils cadet creuse un trou dans le sable pour y fourrer son père, le rôle (assez monstrueux) de la mère doit être joué par un homme. Je me suis bien amusé en écrivant cette pochade vengeresse et burlesque. Mon premier texte. Je l’aime beaucoup et ne l’ai pas oublié même s’il n’a jamais été mis en scène, au théâtre. Ce pamphlet caustique et matriciel n’est pas qu’un crime de jeunesse, sans doute imparfait, imbibé du climat tumultueux de l’époque. C’est aussi la genèse de la Vie de famille, roman écrit quarante ans plus tard (Grasset, 2020). Jean Marchetti a eu la bonne et généreuse idée de relire le passé à la lumière de l’actualité. Sans m’en avertir – comme un cadeau du ciel –, il a demandé à Antoine Roegiers, fils obéissant, qui aime sa mère et suit son propre parcours artistique, de dialoguer avec mes paroles par des dessins si équivoques et troublants que ma prose a l’air d’avoir été écrite pour illustrer ses croquis. La boucle est bouclée, le texte est devenu un livre, les mots ont toujours raison, les images du présent tordent le cou aux fantasmes du passé.
— Patrick Roegiers