
C’était dans le miroir d’une flaque, vitreuse comme un jour de pluie, grise comme l’ennui. Un visage semblait s’y estomper jusqu’à s’en trouver submergé.
C’était, à des « quatre pavés », sous les regards des passants qui avaient cessé de le voir, la présence d’un mendiant, auquel nous rappelle le Poète, artisan des présences.
Le mendiant semble s’effacer du regard, mais n’est-ce pas à travers lui une part de nous-même sur laquelle nous passons, quelque chose de notre présence au monde ?
En sorte que c’est un peu de notre propre disparition qui, à travers son effacement, nous interpelle, que nous lui abandonnons.
C’est un mendiant au bord du chemin qui va, celui des pas comme le long d’un quai, au hallage des vitrines : un petit tas de temps qu’on passe sans lui jeter la menue monnaie d’un regard.
Tel est le sort de l’absent qu’évoque le poème, comme vitrifié au pied d’une rue commerçante dans l’escalator des jours. Est-il mort déjà, ce mendiant cloué là, comme un miroir sans tain dont le chaland passe le chemin, comme d’un naufrage sans âge ?
Cette fois, le poème racle le blanc jusqu’à en saisir la substance vitreuse : le trou perdu d’un oeil sans tain. Plus rien qui s’y dévisage.
— Jean-Michel Aubevert, extrait de la préface.
Extrait
On dit que les trottoirs
Sont de vrais miroirs
De nos vies
Nous vivons
Dans la plus pure des transparences
Mendiants sans tain
Qu’on suit d’un œil policier
Comme peuvent le faire les chiens
Aux heures les plus sombres
***
Novembre tire sur sa longe
Et je reste ainsi
Entre froid et souffle
À moins d’un mètre d’un vitrage
Qui se défend d’être pour moi
Tant il glace à frôler
Tant il me pèse au cœur
De n’être qu’un reflet
De l’autre côté de la vitre
Ou de la vie