Dans cette époque d’impitoyable fact-checking fiévreux et de morne transparence, les livres de Mehis Heinsaar sont un pur délice. Rien n’est vrai (au regard de la raison, tout est pourtant sincère à ses yeux), tout y est mystérieux et imprévisible.
Monsieur Paul est probablement un flamboyant schizophrène un peu mélancolique. À moins qu’il ne soit un immortel philosophe zen adepte de la méditation. Ses quarante-six chroniques sont un ensemble de textes tout à fait particulier. On y partage des fragments de son existence, quelques pages de son journal (« le Livre de l’aube »), ses promenades multiples (en ville ou sous la mer), ses dépositions devant l’agent Marcello, ainsi que de nombreuses tasses de thé. On y croise des jardinières d’enfants, énormément de meubles et de silence, des hommes parfois mystiques, des auteurs parfois mythiques, des cyclistes, un parapluiste.
De quatre lignes à quinze pages, absurdement drôles, ses aventures au spleen espiègle pourront vous évoquer Erik Satie ou Brigitte Fontaine, Alexandre Vialatte et Lewis Carroll, mâtinés de Michaux, Vian ou Harms. Heinsaar est clairement passé de l’autre côté du miroir. Le titre les Chroniques de monsieur Paul est d’ailleurs presque l’anagramme d’Alice au pays des merveilles.