
Invitée à investir par la fiction l’œuvre de l’artiste Maxence Mathieu Il y a moins de choses entre les cieux et les enfers qu’aucun d’entre nous ne peut l’imaginer, l’écrivaine Amélie Lucas-Gary relate dans Ma voix de dieu son expérience de la chaise longue customisée par l’artiste. Dans un monologue intérieur d’abord très réaliste, elle explore le potentiel introspectif de la position allongée. Puis, l’expérience de l’œuvre devient au contraire une occasion pour elle de sortir d’elle-même, de vivre une impossible et vertigineuse altérité. Dans Ma voix de dieu, l’autrice donne la parole à cette part de chacun que l’art réveille et que seule la fiction peut rendre parfaitement audible.
Extrait
J’écoute cette voix à l’intérieur de moi. Tant qu’elle parle, je ne dors pas — dans le sommeil, on ne fait qu’une je crois, et alors je ne l’entends plus. Si je peux la juger, ainsi éveillée, c’est qu’à l’intérieur, on est deux. Et parfois je me demande si on n’est pas plus nombreux.
J’habite une vieille maison. À l’intérieur, on n’y voit rien mais c’est aussi vaste que dehors. C’est beaucoup plus grand que mon corps ne le laisse entendre de l’extérieur. Dedans, dehors, c’est le même espace si j’ouvre la porte. Si j’ouvre la porte, la lumière entre, mais elle peut ne pas venir seule. Ma sœur m’a parlé l’autre jour de son monde intérieur. Quand elle a dit ça, je me suis approchée, j’ai regardé son iris de très près, et j’ai vu ce trou noir dans son œil. J’ai eu peur comme au-dessus d’un puits sans fond. Je ne voudrais pas tomber dans le puits d’un autre.