Loin de toute l’hagiographie qui valorise la pécheresse repentie, ou de l’exégèse qui décompte les figures magdaléniennes, Bernadette Engel-Roux ne retient de la figure de Madeleine que ce qui coïncide avec l’intimité de sa propre parole poétique, telle qu’on peut l’entendre dans ses autres recueils : l’amour dans la séparation. Ainsi distraite des Écritures qui la désincarnent, la Femme qui, de ses cheveux, essuie les pieds d’un corps dont tout la prive, est l’Amante qu’ont arrêtée dans la peinture Fra Angelico, Botticelli ou Véronèse. À Madeleine a été donné l’absolu de l’amour impossible.
Telle nous apparaît, ici, la Madeleine de Bernadette Engel-Roux. Elle est infiniment plus femme que sainte, infiniment plus jouissante que repentie. On dirait qu’elle n’a jamais péché. Le Christ qu’elle évoque et invoque semble occuper les lointains de l’espace et du temps, encore que son cœur, à elle, n’existerait pas s’il n’était rempli de cette présence. Des scènes rapportées par les Évangiles, trois sont retenues pour leur teneur dramatique : l’onction des pieds du Seigneur, dans la maison du pharisien, où l’offrante charnelle s’accomplit par le truchement de la chevelure ; la crucifixion, précédée par le lent accompagnement de l’amante jusqu’au sommet du Golgotha ; la visite au tombeau vide et l’évidence sensible de la résurrection. Ainsi la narration sacrée est-elle suivie à la lettre, mais constamment brassée et débordée par l’amoureuse effusion de la femme que rien ne retient, en cette confidence pudique et lyrique, de dire l’omniprésence du corps dans le rapport qui lie la femme à l’homme-dieu.
Le registre où s’inscrit le poème est celui du désir que ni la douleur ni la mort n’ont aboli, et qui survit, plus fort, plus exigeant, plus intrépide et intempérant, à toutes les épreuves. S’il est un projet sous-jacent à cette affirmation de l’essence incorruptible de l’éros, ce n’est pas à l’ascèse qu’il tend ni à son horizon de sainteté. La sphère qui enclot la totalité de cette histoire rendue à son expression de pur poème est toute de femme et de charnalité. L’âme n’est pas distincte du corps. Elle en est l’accomplissement. Entre symbole et fantasme, entre singularité physique et image de rêve, la chevelure de Madeleine concrétise par son dessin l’infinitude de l’amour dans l’étroitesse du temps et nous rappelle que la chair aussi veut l’éternité.
– Extrait de la postface de Claude-Louis Combet.