Surgie au milieu des années 1930, la parole de Emilio Villa continue de déconcerter, sinon de scandaliser. C’est que sa vertigineuse diversité a été à la mesure de son pouvoir de novation. Parole, voix, écriture polémiques, nourries des heurts de parlers, dialectes, langues diverses, de leur systématique contamination, leurs formes d’expression ont eu pour effet de vider la prétention institutionnelle de toute œuvre et, refusant statut d’univocité au langage, d’accepter la poésie comme donnée. De l’existence de ce rapport dialectique, agoniste, entre l’auteur et la langue naturelle, une langue a cependant pris place : unique, sans égale en fureur et beauté. Langue qui sans doute se voulant comme une totalité esthétique, négative fût-elle, n’a de cesse, en définitive, de donner aval au corporel, d’euphoriquement verbaliser la matière en l’exténuant, de donner corps et pneuma à un « néant dire » – un non-sens qui constituerait, paradoxe central, l’unique sens acceptable. Puisse ce présent choix, établi sur le tome premier du corpus villien, événement absolu car inédit en volume dans sa translation en français, consolider la ferveur plus que grandissante, internationale désormais, autour de ce dire et genre résolument neufs, et combien actuels, afin de l’arracher à sa circulation encore par trop restreinte. Fait insoutenable eu égard à la cohérence, à la portée éthique avec lesquelles son auteur a inlassablement contribué à torpiller le pouvoir exorbitant des codes contraignants, sinon coercitifs, de la communication standard.
Né en 1914 à Affori près de Milan, pratiquement inconnu en France, Emilio Villa est un des plus grands poètes contemporains. Son travail sur la polyphonie des langues le rend comparable à Joyce et à Arno Schmidt. Rarement l’expression « alchimie du verbe » a paru mieux appropriée. C’est également à Villa, très attentif à la peinture de son époque (Alberto Burri, Pollock, De Kooning, Newman et autre Twombly), que l’on doit le terme de « peinture d’action », concept qui reviendra, via Harold Rosenberg, sous l’historique appellation désormais contrôlée d’action painting. Pour Villa la poésie trouve son agir dans sa propre énergie, destituée de tout lien logique d’ordre grammatical, de toute rationalité qui renverrait à du signifié originel. Doit dominer la stratification mobile d’un alogisme dans ses moments de ruptures. D’où le glissement vers une « zérolangue » traitée en tant que matériau infiniment plastique et déformable.