
La poésie utilise ici les moyens de l’évocation, mais est aussi narrative et discursive. Elle germe au sein d’un texte qui semblait se présenter comme un essai ou une narration, et en constitue l’accomplissement. Poésie, essai, narration sont conjugués dans l’intention d’atteindre la plus grande intensité dans l’expression claire et précise de soi et du monde.
Le désir de faire sens est mêlé à un sentiment inquiet de l’urgence d’écrire, et à un questionnement sur la littérature. Le lecteur entendra dans ces pages des échos aux œuvres de Borges, de Paul Celan, de poètes contemporains, en vis-à-vis d’une réflexion sur une collection d’articles de physique théorique, ou sur des textes épigraphiques. C’est avant tout, et de bout en bout, la nécessité et la possibilité du sens qui sont interrogées dans ce livre.
Du sens en tant qu’écrit, et que poème.
Comment être contemporain sans être moderne ? Au risque de tomber dans la vieillerie littéraire, l’auteur prétend en relever le défi. L’éternité promise à l’Âme, les Immortels institutionnels en sont le leurre. Combien sont oubliés du public des lecteurs, poudroyés de naphtaline ? … Il situe le commencement du dérèglement littéraire qui prélude à sa décadence au milieu du dix-neuvième siècle, juge de Rimbaud à l’aune des rimbaldiens, comme on peindrait le Christ en croisé à l’image des papistes.
Dans les dernières lignes, il pointe son inquiétude : « Là est la question, précisément : qu’est-ce qui importe ? » On s’en voudrait de lui en refermer la porte. D’emblée, son ouvrage est filé d’écriture, en soi une aventure dont il a jeté le pont. c’est peut-être plus le questionnement que les certitudes qui nous rend personnellement humain.
— Jean-Michel Aubevert, extrait de la préface
Extrait
Avant-guerre
Indéfectible solitude, par quoi j’ai conjecturé ceci : que cette ville dans laquelle j’habite, est peuplée de fantômes insensibles aux êtres vivants, et auxquels les êtres vivants sont insensibles, et là dedans, je suis le seul être humain tissé dans un corps frêle ainsi qu’un esquif sinuant parmi les corps monumentaux crevés de bâtiments aussi splendides qu’ils sont vides, semblent près de s’écrouler sur le flanc parce que soutenus par un échafaudage débile.
Ville dont la beauté majeure est désuète et artificielle comme un décor de théâtre, sortie d’un enchantement comme on n’en voit qu’en rêve, à toute heure éclairée comme si c’était l’aube ou le crépuscule, où les rues sont plus désertes que le ciel.
Entends le criaillement incessant d’oiseaux de mer qui, là-haut, tourbillonnent avec une colère qu’expriment leurs ailes blanches qui semblent près de s’entrechoquer quand ils se ruent les uns au devant des autres en sifflant comme des machines de guerre pour une raison qu’on ignore.
Plus vide que le ciel
pourtant
est notre cœur.