Le 21 novembre 1991, la galerie Sonnabend, à New York, vernit la nouvelle exposition de Jeff Koons. Elle est consacrée à une installation exposée l’année précédente à la Biennale de Venise : Made in Heaven. Mettant en scène les ébats de l’artiste avec la starlette du X italienne connue sous le nom de Cicciolina, elle prend la forme d’une série de grandes peintures pornographiques accompagnées de statues représentant des petits chiens et des angelots. Dès le lendemain, toute la critique éructe de rage. Vendue, infantile, publicitaire, opportuniste : les spécialistes n’ont pas de mots assez durs pour ce qu’ils ne peuvent s’empêcher de considérer comme la plus parfaite incarnation du kitsch petit-bourgeois libidineux. De manière conforme à l’accueil réservé à toutes les pièces de Koons depuis ses débuts, ils ne daignent même pas regarder ce qu’il a fait.
Que se serait-il passé, sinon ? C’est la question à laquelle tente de répondre cet essai, qui reconstitue le prodigieux écheveau de références et d’idées incarnées par Made in Heaven – écheveau qui pourrait conduire à penser que, plutôt que la forme la plus basse du commerce contemporain de l’art, cette œuvre a toute les chances de représenter, pour notre époque, ce qu’avait représenté Fountain de Marcel Duchamp pour la sienne : le lieu de sa vérité esthétique. Pas moins.
Laurent de Sutter est professeur de théorie du droit à la Vrije Universiteit Brussel. il est l’auteur d’une quinzaine d’essais consacrés aux liens entre images, loi et transgression, traduits dans de nombreuses langues. Il dirige les collections « Perspectives critiques » aux Presses universitaires de France et « Theory Redux » chez Polity Press. Parmi ses ouvrages : Après la loi (PUF, 2018), Post-tribunal (B2, 2018), l’Âge de l’anesthésie (Les Liens qui libèrent, 2017), Poétique de la police (Rouge profond, 2017), Vie et mort des super-héros (PUF, 2016), Accélération (PuF, 2016), Théorie du Kamikaze (PuF, 2016), le Livre des trahisons (PUF, 2016), Magic (PUF, 2015), Métaphysique de la putain (Léo Scheer, 2014), Quand l’inspecteur s’emmêle (Yellow Now, 2017).