
Rania, le cri d’un peuple spolié s’introduit dans l’histoire d’un pays grignoté par une puissance voisine colonisatrice et rongé par la corruption interne. Fille d’un berger repoussé toujours plus loin dans le désert, Rania, poète et future physicienne, incarcérée pour avoir participé à une manifestation d’étudiants, s’adresse le temps d’un cri à son amant, un musicien banni.
« Dire ma vie en un cri. La dire pour l’adresser à celui qui m’attend à l’autre bout du monde et du vaste océan. Mais comment dire ma vie à la vitesse d’un cri ? Comment la dire sans la trahir, sans l’abandonner par mes mots ? […]
« Dire que j’ai grandi sur une terre prise en étau entre un immense désert et les invasions du puissant voisin. Cette terre est le pays des bergers et ce désert, par ses tentacules, la fracture en de nombreux endroits. Sur une carte géographique, ce pays des bergers a l’aspect d’une silhouette humaine tranchée et désarticulée… »
Dans une postface éclairante, Judith Balso-Badiou situe ce nouveau roman dans l’œuvre de l’auteur, qu’elle analyse avec finesse.
Extrait
Mon enfance n’est pas sourde aux paroles des adultes. Quand mon père retrouve celui de Youri, tous deux ne peuvent s’empêcher de parler de l’armée d’Impérion. Je les ai même entendus dire qu’elle serait responsable de la disparition d’un berger de la région. Plus jeune, j’aurais pu croire que quelque méchant loup rôde dans les parages et qu’un brave Moulouk va certainement le sauver. Mais je n’ai plus l’âge de ce conte d’enfant. Les voleurs de terre et leur armée ont remplacé le méchant loup et la brebis égarée est un jeune berger que j’ai souvent croisé sur le chemin du village. La peur de disparaître s’installe maintenant en moi. Youri ne m’a-t-il pas dit que les voleurs de terre puent la mort ? Depuis, je ne peux m’aventurer sur le moindre sentier sans penser qu’une odeur de charogne peut être aussi dangereuse qu’une morsure de serpent. Je considère mon flair comme aussi précieux qu’un bâton. La moindre puanteur me fait rebrousser chemin. Oui, il me faut l’avouer, ce que Youri m’a dit m’a rendue plus froussarde qu’un lapin. Il n’empêche que je me pose des questions. Comment un être vivant peut-il puer la mort ? Qu’il puisse puer, ça je l’admets, mais pourquoi la mort ? Les voleurs de terre seraient-ils des morts-vivants ? Seraient-ils pourris avant même de commencer à pourrir ? Youri doit m’expliquer, il doit bien savoir, lui qui m’a affirmé que les voleurs de terre puaient la mort.