Né en 1867 à Porto et emporté par la tuberculose en 1900 (alors appelée, plus aristocratiquement, phtisie), António Nobre n’est pas un nom qui brille au firmament des lettres dans les références du grand public. Il a pourtant joué un rôle décisif dans la poésie portugaise. À tel point que l’immense Fernando Pessoa, sans nul doute un des écrivains les plus marquants du XXe siècle, a pu dire à son propos «quand il est né, nous sommes tous nés». Dans sa préface à Só (un titre qui claque Seul), René Poupart, qui a traduit cette oeuvre majeure du poète portugais, rapproche très justement celui-ci de Tristan Corbière et de ses Amours jaunes : une même passion pour la mer, un même substrat celtique et ce que le critique Rodrígues Lapa nomme des «manifestations d’un même type d’imagination et de sensibilité», jusque dans le vocabulaire (celui des pêcheurs, notamment) et les formes qu’adoptent l’un et l’autre.
Extrait
Luzitania no bairro-latino
Lusitanie au quartier latin
Convento d’agoas do Mar, ó verde Convento
Cuja Abbadessa secular é a Lua
E cujo Padre-Capelão é o Vento…
Agoa salgada d’esses verdes poços,
Que nenhum balde, por maior, escua !
Ó Mar jazigo de paquetes, de ossos,
Que o Sul, ás vezes, arrola á praia :
Olhos em pedra, que ainda chispam brilhos !
Corpo de virgem, que ainda veste a saia,
Braços de mães, ainda a apertar braços de filhos !
Noiva cadaver ainda com véu…
Ossadas ainda com os mesmos fatos !
Cabeça roxa ainda de chapéu !
Pés de defunto que ainda traz sapatos !
Boquinha linda que já não canta…
Boccas abertas que ainda soltam ais !
***
Couvent des eaux marines, ô vert Couvent,
Dont l’Abbesse séculaire est la Lune
Et dont le Chapelain, est le Vent…
Eau salée de ces verts puits
Qu’aucun seau, si grand soit-il, ne peut vider !
Mer, tombeau de paquebots, d’ossements
Que le courant du sud, parfois, roule jusqu’à la plage :
Yeux de pierre qui jettent encore des étincelles !
Corps de vierge, que sa robe revêt encore,
Bras de mères étreignant encore leurs enfants !
Cadavre d’une nouvelle épousée portant encore
son voile…
Squelettes revêtus encore de leurs habits !
Tête violacée qu’un chapeau coiffe encore !
Pied d’un mort chaussé encore de son soulier !
Bouche mignonne et jolie qui déjà ne chante plus…
Bouches ouvertes qui gémissent encore !