• Auteur(s): Gérard Adam
  • Éditeur: M.E.O.
  • Genre: Roman
  • Format: 14.5 x 21 cm
  • Nombre de pages: 180 pages
  • ISBN: 978-2-8070-0137-4
  • Parution: 2017
  • Prix: 16 €
  • Disponibilité: Disponible
  • Distribution: Pollen

À l’aube de sa septième décennie, Yvan Jankovic, fils d’apatrides naturalisés après la catastrophe de Marcinelle, réfléchit sur la Vie avec majuscule et rumine les menus événements de sa propre existence, banale parce que « des pareils à nous », quelles que soient leurs aptitudes, ne peuvent pas espérer mieux. Dans la maison de retraite qui a succédé au sanatorium où son père est mort de silicose, il conduit sa mère à la messe. Sa voiture dérape dans le blizzard. Il médite dans son antre de silence sur les séquelles d’un catholicisme qu’il a récusé mais dont les concepts moraux tordus ont handicapé ses émotions. Et entreprend la première évasion de sa vie pour veiller Noël avec d’improbables compagnons. Avec toujours en filigrane les strates d’immigrations dont le mixage a fait nos pays.

Extrait
L’humanité m’apparaît comme un immense rucher où se juxtaposent des milliards d’alvéoles séparées par des travées de cire infranchissable. Chacune de ces alvéoles dit et pense « Moi je ». Elle veut aimer, être aimée, jouir plus qu’elle ne souffre, elle trouve juste chaque bonheur, cruelle chaque douleur. Pour appeler ces bonheurs, écarter ces douleurs, chacune se structure une pensée magique autour d’une divinité, d’une philosophie. Mais pour chaque alvéole, quelle importance ont les autres « Moi je » qui pensent et ressentent, partagent ou ne partagent pas son illusion de la divinité, de la philosophie ? Aussi proches qu’ils paraissent, ni leur pensée ni leur ressenti ne lui sont accessibles. Toute proximité n’est qu’illusoire. Certains répandent des bienfaits en vertu d’une abstraction improuvable, quand au nom du même concept d’autres torturent et assassinent. Tout humain digne de ce nom a été horrifié par les attentats récents. Mais en quoi le fait qu’un grand nombre a perdu la vie au même instant des mains de prétendus semblables rend-il leur mort plus effroyable que le cancer de Josefa, les poumons pétrifiés de Papa, l’Alzheimer de Mamma, l’hémorragie cérébrale de Mine ?
Le « moi je » d’aujourd’hui semble pareil à celui d’hier comme à celui de demain. Ce bientôt vieillard que je suis ne s’éprouve pas différent de l’enfant auquel une fillette refusait la découverte de son corps, cet adolescent qui se sentait rejeté parce que d’une classe « inférieure », ce jeune homme en crise existentielle qui a mis fin à ses études pour s’enfouir dans la banalité. Mais quelle réalité cette impression recouvre-t-elle ? Je ne sais plus de mon passé que des flashes sélectionnés à mon insu par une instance de mon cerveau. Tout le reste s’est effondré dans l’oubli, comme dans l’océan ces falaises de glace minées par le réchauffement. Et le jour où sera donné le signal du délitement, ces flashes eux-mêmes disparaîtront, peu à peu ou d’un seul coup. De ce qui aura été Yvan Jankovic ne subsistera qu’une machinerie en sursis, inconsciente d’elle-même, fabriquant des instants qui aussitôt se déliteront.