À l’été 1972, Paul Schrader, un jeune scénariste dérivant dans Los Angeles, a la vision d’un « taxi driver » qui vit seul au milieu de la multitude, en souffre et rêve sa vie à force de la scruter. En quelques jours, un premier scénario s’écrit : « Il a jailli de moi comme un animal ». Un jaillissement redoublé par l’excitation d’un Scorsese qui s’en empare et invente à l’été 1975 une mise en scène hallucinée, à l’image de la réalité surréelle du New York de cette époque, une ville en faillite et un terrain de jeu idéal. Sans compter Robert De Niro, alors en pleine ascension, qui sait insuffler au personnage de Travis Bickle une force irrésistible, animale elle aussi et inspirée par une théorie du jeu de l’acteur. […]
[…] Taxi Driver est l’histoire de ces jaillissements, logiquement aussi celui de Travis qui cède apparemment à une force dévastatrice et, en vrai, trouve la voie de sa libération. Une libération ou une démesure créatrice qui accède à sa figuration exemplaire dans la célèbre scène au miroir : « You talkin’ to me ? », véritable échappée dans une quatrième dimension. D’une certaine façon, ce livre est tout entier dédié à élucider les enjeux esthétiques de cette seule scène, à en réfléchir sa généalogie renouvelée et à en déployer ses conséquences à l’échelle du film. Alors, comme toute image de soi dans un miroir, les interprétations habituelles s’inversent.