Avez-vous déjà croisé votre double, votre alter ego, mais qui aurait quinze voire quarante ans de moins que vous ? Ou commis un acte involontaire très embarrassant ? Ou aperçu un chat qui volait dans les airs comme un oiseau ? Dans ces vingt nouvelles, qui sont autant de moments pris sur le vif, il est question d’un toboggan indésirable, d’un conférencier extravagant, de lettres anonymes, d’une mystérieuse cravate, d’une bourgeoise « prout ma chère », de fantômes bien réels, de retrouvailles nostalgiques devant un vieux kiosque, de désarrois littéraires ou amoureux… Chaque personnage, du plus sincère au plus cynique, du plus rêveur au plus terre-à-terre, trouvera une raison d’exister. Et peut-être même le bonheur absolu ?

Extrait

L’image reflétée lui montre un homme âgé, très âgé même, au port de tête altier, à la carrure large, aux mains noueuses et tachetées. Le corps a conservé sa sveltesse, bien que le vêtement informe ne l’avantage guère. Les yeux sont d’un bleu gris d’acier, le nez long et légèrement busqué est harmonieux, la mâchoire volontaire. Un visage de chef, tout ce que les autres ont aimé en lui. Les autres, c’est-à-dire les Français, celles et ceux qui lui ont accordé leur confiance pendant ses longues années au pouvoir. Celles et ceux : une formule qu’il a souvent privilégiée, afin que la gent féminine ne se sente pas délaissée. Mais il doit le reconnaître, le ceux aurait suffi puisqu’en grammaire, le masculin l’emporte toujours. Savoir parler au peuple, le flatter, le séduire, telle a été sa devise, qui s’est révélée payante.
Même si sa mémoire immédiate lui joue des tours, les souvenirs de sa glorieuse époque lui apparaissent parfois par flashs successifs plus ou moins rapprochés, avec une netteté particulière : l’inoubliable soirée du dimanche 7 mai, quarante-cinq ans auparavant, quand les battements de son cœur s’étaient accélérés juste avant l’annonce officielle des résultats électoraux […]