Un professeur se donne la mort pour s’être ridiculisé devant des élèves ; une femme jadis victime d’abus sexuels arpente les routes en vociférant et provoquant des collisions ; un piéton impénitent part en guerre contre l’incivisme des automobilistes; un homme devient gynécologue sans autre vocation que de retrouver une institutrice dont la jupe l’avait obnubilé enfant ; bouleversé par la Vanité à la chandelle, un autre s’insère dans la destinée des êtres qui ont inspiré le chef-d’œuvre de Jacques Linard…
Artistes, enseignants, marginaux, les personnages de ce recueil ont tous quelque chose de borderline, et par là nous ouvrent une faille vers la profondeur des êtres. C’est que, « trop décousue pour devenir un roman, trop prosaïque pour en faire un poème, trop insaisissable pour être mise en scène », une vie peut s’éclairer, de temps à autre, par hasard ou par besoin, sous forme de nouvelle, qui laisse à chaque fois un goût intense d’inachevé…
À l’image de ce Belge qui se met en marche au fin fond des Ardennes pour traverser tout le pays jusqu’à la lisière des vagues sur une plage de la Vlaamse Kust, ces dix-neuf nouvelles, dont l’écriture s’est étalée sur quarante années, éclairent le parcours d’un écrivain rêveur, toujours en quête d’une facette de notre condition humaine, bonheur ténu ou drame dérisoire au regard de l’éternité qu’il voudrait capter dans une phrase.
Une première version d’Un Belge au bout de la plage est parue en 2003 aux éditions Éole. La présente version a été profondément remaniée par l’auteur, qui l’a enrichie d’une nouvelle.

Extrait

Ne m’en veuille pas, cher Frédéric, si cette misérable et dernière missive commence par l’atroce formule traditionnelle : « Lorsque tu liras cette lettre, je ne serai plus de ce monde… » C’est pourtant vrai ! J’ai décidé de mettre un terme à mes jours. Toi qui me fréquentais (j’écris déjà au temps des morts !) quotidiennement depuis quinze ans, tu devais bien te douter que la chose se produirait. Ma santé fragile que tu connaissais, cette névralgie oculaire dont je ne parvenais pas à me débarrasser, cette immense difficulté que j’éprouvais ces derniers temps à articuler convenablement les mots les plus simples à cause d’une langue sèche, d’une bouche privée de salive, la puissance de ces petites mouches, comme tu me l’avais dit en m’écoutant ce soir de décembre au cours duquel je n’avais pu te cacher ma décrépitude physique, tout cela a pourri le terrain où aujourd’hui je n’ai plus aucune prise. Mais ce ne sont pas là les raisons essentielles qui me poussent à partir. Pascal, que tu vénérais tant, que tu citais sans cesse, jusqu’à parier (suprême élégance !) que tu répondrais toujours par une de ses pensées à toutes mes questions, même les plus saugrenues, ce forçat de la volonté ne s’est pas laissé abattre, lui, par le mal qui le rongeait.
Mais moi, vois-tu, je ne suis ni un saint ni un spartiate, mais un pauvre petit professeur de préceptes et auteurs français, miné par quelque vingt années de routine et dépourvu de toute espèce de génie. Et c’est parce que je n’ai pu m’empêcher d’exécuter un geste littéraire, un acte insolite, fantastique même, qui sortît un peu de l’ordinaire, qui devait être magique, que je veux m’enfouir maintenant dans l’anonymat définitif, dans la poussière de l’oubli.