Un homme arpente les rues de Bruxelles, « invisible parmi les invisibles » passant les nuits dans quelque parc, s’abritant vaille que vaille des intempéries, des patrouilles, de la malveillance. Olivier Tegera est ce qu’il est convenu d’appeler « un migrant ». Un homme qui s’efforce de mettre le plus de distance entre lui-même et son passé douloureux. Un homme qui nous dit sa trajectoire depuis un Rwanda gangrené par le génocide, sa longue errance et son existence actuelle de paria, faite de ténèbres éclairées par de fragiles lueurs où résonnent les légendes qui ont bercé son enfance.

Extrait

Un homme attend le tram 18 de l’autre côté de la rue. Il observe sans en avoir l’air mes petits préparatifs du coucher. Je déplie les deux cartons sur l’herbe clairsemée. Déroule le matelas de mousse et m’étends tout en ramenant la couverture jusqu’au menton. Je caresse les poils bouclés d’une barbe que je n’ai pas dû raser depuis des mois. Je les enroule machinalement autour de mon index raviné. En même temps, je chantonne un air mélancolique du pays d’une faible voix de fausset. Doucement, tout doucement. Un filet de voix presque inaudible même pour moi. Ce petit rituel m’apaise. Me vide l’esprit. Des oiseaux s’en emparent. Ils détricotent les mailles compliquées de la pensée et emportent les fils dans leurs becs. Aux quatre vents. Aux quatre points cardinaux.
J’ai décidé de bouger. Il y a moins de chiens ici. Ou en tout cas moins de chiens qui déposent leurs excréments sur l’herbe. Un sursaut de conscience des maîtres qui voient les enfants en bas âge courir dans le parc. Ils ont leurs codes, leur cartographie des besoins : pelouse de l’avenue du Roi, OK. Le parc, mmm, attention, marmots ! Seulement quelques recoins autorisés. J’ai installé mon nouveau pied-à-terre dans un triangle vert fortement pratiqué par les bambins et leur mère en fin d’après-midi, lorsque le soleil amorce sa descente sur la barque céleste. No dogs. Mais beaucoup de papiers d’emballage épars. Beaucoup de chewing-gums, de bonbons collants, de pelures de fruits. Il faut choisir : merdes canines ou reliefs du goûter.