Charlotte Dufrène, de son vrai nom Marie Charlotte Fredez (1880-1968), est un vertige.
Demi-mondaine parisienne à la Belle Époque, elle gravite dans une haute société proustienne avant de devenir presque par hasard – auprès de Raymond Roussel auquel elle sert de « paravent » – le témoin médusé d’une vie et d’une œuvre littéraire uniques. Femme aux abois, elle accompagne l’écrivain en un compagnonnage un peu en retrait du monde déjà, jusqu’à sa fin tourmentée à Palerme en 1933. Ensuite, elle échoue à Bruxelles où elle vit à la limite de l’indigence, avant de connaître une tardive embellie.
Comment expliquer que Charlotte Dufrène n’ait cessé de se lier à des célébrités : non seulement Roussel, mais aussi le compositeur Reynaldo Hahn, le maître d’équipage Bertrand de Valon, les auteurs Michel Leiris et John Ashbery, faisant ainsi le grand écart entre la société élégante 1900 et une modernité littéraire radicale ? Présence discrète mais mémorable, comment s’attire-t-elle l’intérêt et l’affection de la féministe Lily Wigny ou de la chanteuse Paule Daloze ? Et pourquoi reste-t-elle toujours au fond une inconnue ?
À travers ce destin unique, les auteurs interrogent une certaine image de la femme au XXe siècle, étrangement en marge des grandes émancipations de l’époque. Planète en apesanteur soumise à toutes les attractions, Charlotte mène sa trajectoire solitaire entre charme, effacement et dévouement – mais témoigne d’une secrète capacité de résistance qui en fait la parente cachée de Bartleby ou d’Yvonne, princesse de Bourgogne.
Ce livre rassemble ce qu’il est possible de savoir aujourd’hui sur Charlotte Dufrène. Il est composé d’un essai biographique en forme de lettre et d’un dossier documentaire : correspondance avec Raymond Roussel, Michel Leiris, John Ashbery et quelques autres, chronologie détaillée et abondante iconographie.