Volcano versicolore est un livre de bande dessinée pictural perfonarratif dans lequel innuit siniswichi, le personnage, traverse les univers visuels de Koloro Koro. Le texte, écrit avec Javier Kronauer, d’essence poétique, n’est jamais là où on l’attend.
Sylvain Essayan Paris sont plasticiens et performeurs. Ils sont deux même s’ils ne font qu’un. Son corps est à la fois pinceau et support. Volcano Versicolore est la trace plastique et narrative des performances d’Essayan Paris, mise en page par innuit siniswichi et éditée par Koloro Koro et la 5c. Voilà pour les présentations et une attribution des rôles. Nous verrons qu’il(s) n’aime(nt) pas ça.
Les plus éminents théoriciens du média avaient déjà montré, s’il le fallait, qu’il n’y avait pas de « hors champ » en bande dessinée, le dessinateur plaçant à l’envi les éléments dans les limites étriquées de la case. Voilà qu’advient tout à coup un « hors bulle ». S’il laisse vide le phylactère, il n’est pas pour autant du silence. Il se fait matière, matériau sonore et plastique. Ainsi, comme les images sortent volontiers des cases, en débordent jusqu’à tout recouvrir, le texte à son tour fuit les bulles, recouvre tout, devient motif ou trame de fond.
On sait, au moins depuis Magritte et Foucault, que dessins et textes n’ont pas toujours la place qu’on voudrait leur assigner: le texte peut se faire trait, le dessin écriture. Il arrive ainsi que des phylactères laissés vides, exhibant le néant, un néant communiquant, escamotent le texte peint. La structure de la bande dessinée demeure, mais les statuts s’échangent, l’infra devient super, hyper, meta. Le supra se fait infra.
Sylvain Paris, alias innuit siniswitchi, alias Koloro Koro, Sylvain et Ssayan, Sylvain Essayan aime(nt) brouiller les pistes. A l’instar de l’appendice caudal de l’homme au masque d’éléphant, la confusion qu’il(s) produi(sen)t ferait le cauchemar de Lyotard ou Finkielkraut. Rien que pour cette raison, Volcano mérite qu’on s’y abîme, avec ou sans sandales.
Sylvain Ssayan bousculent les codes de la langue, de la bande dessinée, de la conjugalité. La dimension érotique, voire érotomane, de Volcano ne doit pas surprendre. Érections-éruptions-éjaculations. C’est que tout est dans tout: Innuit et ssayan font un joyeux « bordel » où s’abolissent les dualités, où la forme et le fond fusionnent dans des rapports bipolaires, où le même et l’opposé se superposent vaillamment, s’emboîtent et finalement copulent.
Nous découvrons aussi l’éditeur Xavier Löwenthal peindre sur le corps de son auteur. Ce livre est une traversée graphique et picturale dans l’univers de la performance, du body-painting et de l’art contemporain. Pierre Sterckx écrit dans la postface : « la pulsion qui domine est franchement schizoïde, dans la mesure où l’entrelacs couvre la surface simultanéisant toutes les figures et chaque intensité. Cela donne une espèce de réel plus dense que la réalité. »
Javier Kronauer, au texte, n’est ni une émanation, ni un avatar d’innuit. Derrière ce nom postexotique se masque l’auteur d’ouvrages parus aux éditions Le Quartanier, Imho et Al Dante. Javier écrit puis attend que le texte passe et trépasse à la moulinette innuit. Ce dernier procède par appropriation, distorsion, recadrage, manipulation: le texte devient graphe, le texte devient signe. L’écrit se découvre de nouvelles affinités avec la matière picturale, intégré dans un processus performatif. Le texte se fait coulée, dans un paysage en mutation, ou déflagration, dans une scène de combat. Tant de savoir-faire pyrotechnique peut certes troubler la lecture. Les mots ne sont plus ancrage du sens, mais émancipation: leitmotive musico-visuels, échos fantasmatiques d’un monde enfin débridé… Volcano Versicolore doit se lire à l’oeil nu, comme on dit à mains nues, et s’aborder comme un véritable corps à corps. Le lecteur doit lui aussi mettre la main à la pâte picturale, dans le cambouis et la cendre de Volcano, pour comprendre comme il pourra un texte qui ne cesse de le fuir.