Il peut y avoir quelque chose de surprenant à voir une jeune fille retracer, pour son premier livre, la trajectoire d’un tueur en série. Encore faut-il noter que le récit, loin de suivre les classiques développement du genre policier, prend les chemins de la fable.
Chronologiquement, la seconde partie du livre exécutée en noir et blanc, a été réalisée en premier. Conçu pour être indépendante, elle va pourtant donner naissance à la première partie et au livre. Car poursuivant son « travail », Aude Samama n’a pas voulu simplement développer son récit, elle lui a donné un autre visage, lui a offert un nouvel éclairage d’ensemble. Les planches qui naissent dans un second temps sont traitées en couleur et reviennent sur le passé révélé lors de la confession du héros. C’est dans le rapport qui s’établit entre les deux narrations de la même période que se place l’enjeu du livre.
Ce « retour vers le passé » a pris effectivement une forme inattendue : une économie de lieux, une quasi absence de d’arrière plans et de détails. Les quelques éléments de reconstitution historique s’effacent pour ouvrir sur un univers où la palette chromatique tient lieu de décor physique et mental, un univers d’ombres, de désirs et de menaces, un univers de conte, affranchi de tout réalisme.
De cette approche surgit sous un jour nouveau la figure de Lily, une jeune mère trop séduisante, égoïste parce qu’inconsciente, tour à tour femme-enfant, amante, mère ou prostituée. La couleur suit la ligne du corps, souligne une sensualité qu’un amour déçu va condamner. Elle met dans le même temps en scène le drame de son fils, Angelo, dont le visage et le corps deviennent ceux d’un homme et dont la silhouette porte sur sa mère une ombre menaçante.
Sur fond de portes, de serrures, d’escaliers, le meurtre n’est qu’un rite de passage impossible, un passage à l’acte raté. Un compte à rebours a commencé et au jeu de la couleur succède le noir et blanc. La seconde partie annonce dès la première image la fuite d’Angelo, la répétition de ses gestes, sa culpabilité et sa chute. Cette série, cette mauvaise passe, seule sa confession permettra de la briser avec les mots de la douleur et de la rancœur.
C’est alors qu’est dit explicitement le sujet central du livre : le désir, qu’il soit refoulé ou souverain. Bien plus qu’Angelo, enfant devenu un tueur ou tueur redevenu enfant, c’est le désir lui-même qui, capable de briser les destins en série, apparaît comme le véritable loup de ce conte.