Il était une fois un poète, visionnaire et martyr. Penché au-dessus de l’abîme de la condition humaine, marié à l’univers, ainsi contait Aristophane.
Faune se réveille. Il n’est pas frais, ni dispos. Il a fait la java tard la nuit, il a la gueule de bois. Après avoir uriné les violettes de son jardin sauvage, il décide de partir à travers sentiers et collines. Il s’imagine qu’une promenade le rafraîchira… Faune le légendaire, Faune le dieu Pan, s’est juré de n’obéir qu’à sa propre volonté, qu’à ses propres désirs, n’hésitant devant aucune cruauté. Toutes ses victimes, hommes et bêtes, seront bientôt liguées contre lui. Il finira amputé d’une «importante partie de lui-même» et s’éteindra sous un soleil indifférent. Et l’on découvrira que même un mythe peut mourir.
« Il a été dit que rien n’a été retranché de cette divertissante histoire, le personnage y est laissé libre de ses actes et l’auteur en toute mauvaise foi certifie sa véracité. » Voilà comment l’auteur introduit son récit, cette « histoire d’un immoral ». L’ironie ici à l’œuvre n’est qu’un masque. Divertissante, cette histoire l’est assurément, mais plus que tout autre, Aristophane est à prendre au sérieux : son humour est ouvert sur le gouffre du néant. Et sa création est une forme d’exorcisme. De liberté, de mal et de vérité, de foi fût-elle mauvaise, il sera bien question dans Faune, œuvre d’un jeune homme de vingt-six ans inspiré par la Divine Comédie de Dante et les Chants de Maldoror de Lautréamont.
C’est à partir de ces deux monuments qu’Aristophane va faire naître au début des années 1990 la plus imposante des œuvres qu’il a laissées : Conte démoniaque (L’Association, 1996). Ce sont des mêmes eaux littéraires qu’il a, en parallèle, tiré Faune, un conte nihiliste où percent ses interrogations morales et mystiques, une relecture des fables d’Ésope qui penche plus du côté de Nietzsche que de La Fontaine. Publié en chapitres dans les premiers numéros de Lapin, paru en janvier 1995 aux éditions Amok et jamais réédité depuis, Faune est un livre confidentiel mais culte.
Aussi bref et fulgurant que Conte démoniaque est dense et tortueux, c’est une parabole sauvage, mélancolique et lumineuse. Le témoignage inestimable et déchirant d’un créateur qui avait mis son art en communion avec son âme.