Moins connu que les Saisons ou le Livre de la neige, longtemps réservé aux amateurs de l’œuvre de François Jacqmin, le Domino gris (1984) est son recueil le plus âpre, le plus réflexif aussi : le poète y enregistre les échecs de l’interrogation métaphysique, mais aussi les arrêts que le temps impose à la pensée, au langage, à la vie même. Art poétique à rebours, ce livre matriciel de l’œuvre postérieure mène un travail de sape de la prétention à dire et à faire œuvre. Mais le délicieux paradoxe de la poésie de François Jacqmin est que l’impuissance du verbe s’y énonce dans une phrase précise, élégante, laconique sans sécheresse, dans un poème qui, avec une cruauté affichée, mais aussi un humour discret voire une secrète tendresse, n’exclut ni la sensualité de la pensée ni le plaisir de la lecture.
L’importance de l’œuvre poétique de François Jacqmin n’a cessé de se confirmer depuis sa mort survenue il y a vingt ans, en 1992. Né en 1929, Jacqmin quitte en 1940 la Belgique avec ses parents pour gagner l’Angleterre, où il vivra jusqu’en 1949. Ce séjour marquant décidera de son intérêt pour la littérature anglaise ; c’est d’ailleurs en anglais qu’il écrira ses premiers poèmes. De retour en Belgique, il fréquente l’équipe de Phantomas (Joseph Noiret, Marcel Havrenne, les frères Piqueray, Théodore Kœnig, Paul Bourgoignie et Pierre Puttemans).
Poète exigeant, Jacqmin se décidera tardivement, passé la cinquantaine, à publier et ne fera paraître que quelques brefs recueils de son vivant, en accordant un soin extrême au choix de ses textes lors de la préparation de leur édition. Trois livres se détachent nettement de son œuvre : les Saisons, le Domino gris et le Livre de la neige. À sa mort, il laisse de nombreux inédits dont plusieurs ont été publiés depuis, notamment chez Tétras Lyre, au Taillis-Pré et aux éditions de La Différence.