Jum et Gilles sont jeunes et vigoureux. Épris d’aventures, de partage et d’écologie, ils s’embarquent sur les petites routes de campagne pour une expérience collective unique : le GRRAAOU ou Grand réseau révolutionnaire d’amateurs aimables d’ouvertures utiles, qui va mener les deux garçons de ferme en ferme, pour un coup de main aux champs et plus si affinités… Se réservant uniquement aux fermiers et fermières, Jum et Gilles voient leur amitié et leurs idéaux bouleversés le jour où Jeanne-Morue, plantureuse jeune femme à la chevelure incendiaire, vient s’immiscer entre eux, faisant resurgir le désir individuel.
Clin d’œil grivois au Jules et Jim de Truffaut, le GRRAAOU déborde largement la facétie pornographique et interroge le désir d’alternatives à la société matérialiste et urbaine. Road-movie rural et jouissif, le GRRAAOU explore des territoires oubliés, enclavés, que tentent de ranimer néo-ruraux de tous bords. Mais la quête vire peu à peu au drame, les deux auteurs étant moins intéressés par les enjeux de la chaire que les transgressions politiques et sociales.
Réalisé entièrement au Bic quatre couleurs, le récit vibre au diapason des personnages, tendus vers leur idéal. Le dessin, précis, détaillé, met en scène une nature débordant de pierres, feuilles, animaux musculeux, striés de nervures suggérant malicieusement à chaque page un sexe turgescent. Influencé par le cubisme, Étienne Beck déconstruit la nature et les corps pour les ramener à de simples formes géométriques, stylisant certains détails, en fouillant d’autres, tout en adoptant des perspectives faussement naïves. Le résultat est tout simplement ahurissant : Étienne Beck aboutit à une stupéfiante intensité expressive. La nature luxuriante fait peu à peu place à des contrées brutes et menaçantes où les utopies et l’humanité ravagée viennent achever leur course.