Des milliers de polars et de films noirs commencent par une sortie de prison. Mais si les romans qu’écrit Carino Bucciarelli semblent s’édifier sur un terrain concret, leur stabilité s’effondre aussitôt. Entraîné à la suite du personnage, le lecteur peut se croire durant quelques paragraphes plongé dans un récit conventionnel. Toutefois, bien vite, ses certitudes se désagrègent.
L’auteur abandonne ici la construction labyrinthique de ses deux précédents romans, Mon hôte s’appelait Mal Waldron et Nous et les oiseaux (M.E.O.), pour une narration d’apparence plus linéaire – quoique –, sans pour autant abandonner le réalisme fantastique – ou magique, comme il préfère l’appeler – qui lui est cher autant qu’à nos contrées septentrionales. On peut dès lors considérer que le présent livre complète un triptyque inauguré par les deux précédents.
Extrait
On me libère aujourd’hui, mon nom a été cité dans le haut-parleur. La voix à l’horrible diction a résonné sourdement dans les couloirs de la maison d’arrêt, et tous, comme moi, ont reconnu les syllabes mâchouillées. Aucune réaction n’accompagne une telle annonce : « Détenu sortant… » suivi de l’identité d’un de nos compagnons incarcérés. Personne ne lève la tête, pas même pour chercher des yeux, au cours de la promenade journalière, l’intéressé qui va finalement respirer l’air du dehors. Lui-même esquisse une simple grimace, comme pour dire : oui, mon tour est venu, c’était prévu ces jours-ci ; mais ne pipe mot, ne montre aucun signe d’allégresse. C’est une vérité, la joie n’accompagne jamais la libération ; je le comprends à présent. La liberté est abstraite. Lointaine. Hypothétique. L’absence de réaction à l’annonce d’une sortie, et elle m’avait toujours surpris chez autrui, j’en mesure pleinement le sens à cette minute où j’entends à mon tour, privé d’émotion comme tous mes prédécesseurs, que les portes de la prison vont s’ouvrir. Il me faudra franchir de nombreux barrages encore avant de poser les pieds sur le trottoir. Le directeur se dérange rarement pour une entrevue avec un sortant, mais il me faudra affronter la montagne administrative, simplement deux ou trois papiers à signer, cela me semble une tâche insurmontable.